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Lettre à Sicilia

Lettre à Sicilia

Lettre à Sicilia.

Nous nous sommes rencontrés il y a peu. Ta petite sœur Sarde nous avait prise dans ses bras, lentement, affectueusement. nous étions tombés en amour avec elle et rien ne laissait présager une famille si divisée. Nous étions confiants. Rassurés de poursuivre notre voyage en ta compagnie. Ta réputation sulfureuse nous laissait de marbre, convaincus du contraire. Même les histoires de car-jacking survenues aux amis de la famille ont été mises de côté, le temps de te laisser une chance de nous séduire. On parle souvent de la générosité de tes habitants, qui accueillent chaleureusement les petits français venus en vacance sur tes plages. Ta genèse vaut également la rencontre. Une histoire incroyablement vielle qui traduit les origines d’un continent tout entier. Nous voulions en savoir plus et te connaître plus intimement. Quelle joie de pouvoir fouler cette nouvelle terre, plus grande île d’Europe. Fidèle sœur italienne aux reliefs escarpés dont les caprices sismiques modèlent tes vallons, les transformant en véritables sculptures géologiques.

Nous étions prêts à t’aimer autant que possible mais il n’en est point. Le sort en fût tout autre, indépendant de notre volonté, brisant nos ambitions de voyageurs et nos cœurs de français. Car ta réputation n’a d’égale que ta cruauté chère Sicilia et dans toute notre nuance, nous nous disons adieu, sans un regard, sans un regret, le cœur rempli d’amertume. Nous avons passé six jours en ta compagnie, le temps de creuser. Cherchant désespérément une raison de parcourir ta géographie, de rencontrer tes enfants et de nous lier d’amitié avec ton identité.
Nous sommes descendus du monstre de fer transportant les rares voyageurs hivernaux venant de Sardaigne. L’agression fut rapide et coordonnée. Il nous fallut 200 mètres à travers les boyaux de Palerme pour risquer l’accident de voiture avec les fous du volants siciliens. L’expérience marocaine était formatrice en la matière et les dangers de la route bien réels mais ta réalité routière est totalement dénuée de sens. On ne peut comprendre comment les usagers de la route fonctionnent ici. La question se pose : Ces gens souhaitent-ils mourir sous les trois tonnes de notre Defender ? Nous sommes géant d’acier et de fer, ils sont petites Fiât de 600 kg… le combat est déjà gagné à bien réfléchir. Alors continuons notre route. Après tout, ce ne sont que les aléas du voyageur de gomme et bien des surprises nous seront offertes sur les routes roumaines ou turques…

Le temps de remonter la côte en direction de l’ouest et la stupéfaction fut encore plus grande. Tu dois être magnifique sans ton vulgaire maquillage de déchets qui jonchent la majorité de ton territoire. Il est bien connu que le ramassage des poubelles est une histoire politique et mafieuse en Sicile mais malgré toute notre bienveillance, tu es repoussante. Les bas-fonds de Jakarta sont plus sains que toi pauvre Sicile. Plages, aires de repos, montagnes, champs de vignes, ruines antiques, centre-villes, même en tes lieux les plus inaccessibles, tu reposes sous un manteau de plastiques et autres détritus non identifiables. Alors que faire ? Nous dormons en pleine nature Sicilia… Tes hôtels ne nous intéressent pas alors tu nous condamnes froidement à errer parmi cette puanteur. Nous lâchons ta main en ces heures tristes, désespérés de parcourir une terre de trahison. C’est à l’occasion d’une panne de Django que notre ressentiment s’est sensiblement affaibli. Quelques mécaniciens siciliens sont gratuitement intervenus sur notre fidèle monture, nous permettant de poursuivre notre voyage alors merci à eux, nous ne l’oublierons pas, sois en sûre. Nous repartons le cœur un peu plus léger mais pour un court instant. Nous sommes désormais en ton cœur. Le centre de l’île est inaccessible pour les touristes. Toute route empruntée est la promesse d’un panneau de signalisation vous indiquant que la route est fermée. Le bons sens voudrait que cette information précieuse sois donnée au départ du chemin mais il n’en est rien. A l’image de l’absurdité de tes conducteurs, tes routes donnent des montées de sang. Ça bouillonne dans notre esprit. Venons nous de parcourir plusieurs heures de routes de montagne pour nous retrouver bloqués ? Forcés de rebrousser chemin, dans l’espoir de trouver une issue de secours potentielle… C’est encore une fois un coup de couteau que tu nous assènes en pleine poitrine ou devrais-je dire plusieurs coups de couteaux. Cette mésaventure nous est arrivée à maintes reprises. S’en est trop Sicilia, nous te détestons, pour toujours et notre unique objectif est de quitter cet enfer qui commence à entamer notre moral et notre santé. Nous roulons, longtemps, sans regarder ton décors. Même ton géant de lave ne nous intéresse pas. Nous regardons Messine au loin, petit port nous offrant une sortie de secours vers l’Italie. Qu’elle vienne à nous rapidement, qu’elle nous arrache de tes bras souillés. Nous sommes chanceux. Une barge part dans l’heure pour Villa San Giovanni. Jamais n’auront nous autant plaisir à dépenser quarante euros pour une traversée…

C’est ainsi que nous nous quittons, froidement, dans l’empressement. Même le temps se dégrade. Une perturbation atteint le continent, comme si les vents et la pluie venaient témoigner de notre rancœur envers toi. Soigne toi bien Sicilia et peut être un jour pourra-tu retrouver ton visage éclatant. Des lors, nous retrouverons peut-être la force de revenir te voir, sans violence, sans amertume, sans remord. Jusqu’à cette instant, nous t’oublierons, peu à peu, impatients de rencontrer tes sœurs méditerranéennes. Ne nous réponds pas, nous serons toujours sur les routes d’Europe, injoignables et heureux.

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