Close
L
orsqu’on parle de mysticisme, de légendes ancestrales et d’origines du monde, certaines régions viennent très vite à l’esprit. Il en existe une particulière, où les éléments vous invitent à vous noyer dans un océan d’incertitudes, de questionnements sur vous-même et sur la nature des choses. Certains diront que les déserts sont ennuyeux, réguliers et dénués d’intérêt. Mais ce néant constitue un immense « tout » dont la présence et l’échelle vous dépasse totalement. Les Australiens lui ont donné un nom le réduisant à sa stricte essence : Le Red Center

Les Devils Marbles, Red Center, Northern Territory.

Il ne s’agit pas d’essayer de comprendre comment ce désert est né mais plutôt ce que vous représenter en son sein. Un plateau aussi plat qu’un océan qui laisse apparaitre ponctuellement des formations rocheuses magistrales, berceaux de superstitions, de mythes, de religions aborigènes ancestrales.

Uluru (Ayers Rock), Les Devils Marbles, Kings Canyon ou les Mac Donnel Ranges sont autant de repères géographiques et culturels bien connus des aborigènes vivant encore en ces lieux. Malgrè un génocide lent et savamment orchestré par les colons anglais, il existe aujourd’hui un certain retour à la défense de ces peuples dont la présence en Australie reste difficile à dater. Les Aborigènes retrouvent ainsi un certain « statut », leur permettant d’accéder à des soins hospitaliers et à des aides financières, indispensables à la sauvegarde de leur culture. Les dérives ne se sont pas fait attendre dès lors que l’utilisation de ces aides servirent à financer un alcoolisme très répandu sur tout le territoire. Heureusement, beaucoup d’Australiens s’investissent dans la prévention et l’éducation des jeunes, leur offrant une chance que le gouvernement se refuse à céder.

Mais reprenons notre route. Cette route droite, sans limite tangible. On y circule à 90 ou 100 km/H car rien ne sert de rouler vite pour gagner du temps, le chemin est bien trop long. On compte en milliers de kilomètres, les échelles ne sont plus représentables pour l’homme et on s’amuse à se dire que les 2500 km suivants ou précédents ne présentent aucune âme qui vive. Seuls quelques road trains de plus de cinquante mètres et d’autres voyageurs au long court pourraient nous aider en cas de problème.

C’est cette vulnérabilité qui constitue l’intérêt du désert. Serein et apaisant, il recèle par ailleurs une quantité incroyable de pièges meurtriers, prêts à vous emporter dès la garde baissée. Imaginez vous : Vous stationnez votre voiture sur une plaine tranquille, parsemée de quelques arbres dont l’ombre vous apparait comme un dont du ciel. Au loin, les hurlements d’une meute de dingos rendent le lieu encore plus irréel et beau. Vous allumez votre feu afin de vous restaurer et vous réchauffer des nuits parfois froides de la saison. Il est temps de se coucher; soit dans votre tente ou à l’intérieur de la voiture. Vous dormez profondément lorsqu’un bruit de ruissellement vous réveille. Une légère brise inhabituelle fait claquer le revêtement de la tente. Au premier pied posé hors de votre tente, vous constatez que cette fine terre ferrugineuse s’est transformé en boue épaisse qui souille le moindre centimètre carré qu’elle touche. Le niveau d’eau augmente subitement et vous assistez impuissant à la montée d’une crue éclaire qui dévaste votre campement, emporte votre voiture et ne vous laisse qu’une dernière chance de courir pour rejoindre une berge lointaine, que vous n’aviez même pas remarqué la veille.

Les arbres auraient dû nous questionner. Pourquoi ces arbres si hauts et riches en feuillages protecteurs ? Et ces nervures impressionnantes dans le sol, témoins de la puissance des eaux qui creusent sans relâche le sol australien. Les avertissements étaient pourtant clairs… Cette histoire m’a été comptée par un Australien de Darwin qui malgré ses 35 années d’expérience de voyage à travers l’Australie, aurait pu perdre la vie et celle de sa femme.

Les dangers du désert sont multiples et sournois. Une fois renseigné sur ces derniers et le plein de bon sens fait, l’aventure peut continuer et vous emmener encore plus loin. Nous venons d’Adélaïde en South Australia et rejoignons Darwin au Nord, tout au Nord, là haut, bien plus haut. On dit que l’isolement peut rendre fou. Certains voyageurs solitaires se mettent à se parler à eux-mêmes. Nous sommes trois dans la voiture et certains silences peuvent durer des heures; l’un éteint sa cigarette, l’autre allume la sienne. Nous contemplons tous le même spectacle par la vitre de la voiture et il ne sert à rien de s’interpeller. Il arrive même parfois de perdre la notion du temps, victimes d’un paysage défilant sans cesse, répétant les mêmes formes, les mêmes couleurs… Seuls les couchers de soleil surréalistes vous ramènent à une temporalité normale.

Comme les bovins, les voyageurs tendent à se regrouper entre parfaits inconnus…
Le monde, c’est la trop lourde présence des choses où l’on sent parfois la trop vive absence de Dieu. Le désert, c’est la trop dure absence des choses où l’on sent parfois la trop douce présence de Dieu.
(Jean-Yves Leloup / Désert, déserts)

 

Nous sommes enfin arrivés: Darwin. La ville reçoit son nom du célèbre naturaliste anglais qui voyagea à plusieurs reprises dans cette région. Nous sommes frappés par le bruit saisissant de la ville, des voitures, des camions, des marteaux piqueurs travaillant sur les trottoirs. Nous ne sommes plus habitués et ne souhaitons pas l’être. C’est trop violent, trop rapide. On perd toute confiance en son prochain, chaque silhouette parait menaçante et nous préférons y rester qu’une semaine tout au plus. Nous reprenons la route après avoir acheté quelques vivres. Les boulevards du centre, le périphérique à huit voies, les premières bifurcations se succèdent. Ca-y-est, un panneau indique l’Est. C’est la porte vers le Queensland, la terre des opportunités comme ils disent. Nous saurons les saisir, seuls 1800 kilomètres nous séparent de la mer de Corail. Nous n’oublierons pas La Stuart Highway et son désert. Ils laisseront des marques et quelques souvenirs: C’est une fois de retour en France que j’ai retrouvé de la poussière rouge dans ma trousse de toilette, mes vieux jeans, ma pharmacie, mes chaussettes, mes piles, …

Close