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ous sommes en banlieue de Taroudant, au Maroc et l’envie d’écrire me revient. A cette étape du voyage, je suis à la recherche de dénominateurs communs aux autochtones rencontrés et à leur culture. Certains chercheront du côté de la gastronomie, d’autres de la religion. Après réflexion, il y a une évidence qui frappe mon esprit. Nous avons parcouru principalement des littoraux depuis notre départ et s’il existe un lien fort entre toutes ces personnes rencontrées, c’est bien le surf. Eh oui, difficile de concevoir que les portugais ou marocains peuvent s’adonner à cette pratique mais ils sont pourtant très présents. Alors pourquoi le surf ? Pourquoi cet engouement pour un sport physique aux risques majeurs importants et souvent non calculés ?Sans détour, on éliminera très vite les touristes ayant payé un stage de surf pendant deux semaines dans les stations balnéaires faussement hippies et débridées. Ces cités sont les plus chères, les plus inauthentiques et les plus de-spiritualisées. Ils sont pourtant là, fiers de leurs planche louée et de leur combinaison souvent trouée. Comme dit le dicton, toutes les routes mènent à Rome alors tachons d’éviter les jugements trop hâtifs sur ces jeunes padawans.
Ce qui m’intéresse, ce sont les surfeurs isolés, ceux qui ne peuvent passer plus de quelques jours sans taquiner la vague. Ils sont nombreux et pas si rares finalement. On démarre notre recherche sur les plages d’Aquitaine. Réputation faite, il est presque trop facile d’en rencontrer. Au détour de la moindre petite plage, on les croise au petit matin ou au coucher du soleil. Ils connaissent par cœur les spots du coin, les sentiers périlleux pour rejoindre l’eau et même les moyens de d’éviter les parkings payants de la côte.
Nous étions en Décembre. L’eau glacée n’a d’égale que les vents violents qui balayent la région. Le ciel gris plombé ne présage rien de bon. C’est exactement ce qu’ils recherchent. Les combinaisons épaisses ressemblent aux peaux d’otarie. Noire intense et luisantes, elles sont indispensables par ces températures. Ce sont des guerriers qui défilent devant nos yeux. Je ne surf que très peu mais il faut savoir reconnaître, à défaut d’un niveau ou d’un style pro, le courage de lutter contre les éléments. Alors on se demande pourquoi ? Qu’est ce qui poussent ces gens à se faire du mal de la sorte ? S’il faut répondre bêtement « la passion », c’est trop facile. « L’appel de la mer » diront certains. Ai-je trop de clichés concernant les surfeurs ? Je n’y connais rien à bien y réfléchir. Je trouve juste ça beau et sain. On devrait peut-être tous en faire une fois dans sa vie ? Si c’est avec plaisir qu’ils pratiquent leur activité, c’est avec plaisir que je les photographie.
C’est au Portugal que ma visions prend une autre tournure. Ici, on surf partout. Dans les eaux froides de Nazaré ou les plages paradisiaques de l’Algarve, çà n’arrête pas. Certains spots sont occupés par les locaux (« locals only » comme on lit parfois tagué sur les murs), d’autres sont envahis par des surfeurs de toute l’Europe. Ils sont en meutes dans l’eau. On aperçoit souvent des dizaines de silhouettes réunies, attendant sagement la prochaine série d’ondes qui atteindra la plage. Les parkings environnants sont de même nature. Des véhicules souvent précaires, d’un autre âge s’alignent ou se regroupent, formant des mini-villages. Si les vagues sont souvent chasse gardée, nous sommes acceptés sur les parkings. On peut discuter, essayer de les comprendre ou tout simplement écouter la vie de certains surfeurs qui ne manque pas d’anecdotes. Des histoires pas croyables pour certains. Leur vie ne tourne qu’autour de la pratique du surf et leur mode de vie itinérant explique la recherche de nouveaux spots à travers l’Europe. Le plus ironique, c’est que beaucoup d’entre-eux sont allemands. Un comble pour un pays qui ne possède qu’une mer très froide au nord et aucune côte offrant des conditions de surf. La mondialisation est passée par là. Il est de nos jours plus facile de voyager, de s’équiper et beaucoup de plages offrent des équipements pour touristes facilitant les séjours longue durée.
Quelque centaines de kilomètres plus loin, nous arrivons à Tarifa. Petite cité portuaire qui offre les portes du Maroc à 45 minutes de bateau. Nous y sommes, Le Maroc. Nous passons quelques jours chez Simon, un ami du collège. Il réside à Mohammedia, ville plutôt riche située en grande banlieue de Casablanca. Ici, tout le monde surfe. Expatriés français ou marocains. Ils sont tellement nombreux. Nous profitons d’avoir des combinaisons et des planches à disposition pour tâter de la vague marocaine. C’est un désastre. Simon m’emmène sur les rouleaux lointains. Je tente de me lever de ma planche et y renonce à chaque tentative. C’est trop haut pour moi, trop puissant. La machine a laver qui m’attend ne me laissera pas indemne. Certains surfeurs marocains me disent de retourner dans la mousse comme ils disent. Là ou les vagues s’épuisent et offrent un possibilité de surfer sans risquer la chute grave. Je voyage depuis un moi et demi et ma condition physique est au plus bas. Mes épaules me font mal et je n’ai plus de bras, plus assez pour remonter le courant afin d’atteindre les vagues. L’accident serait bête et commun. Un voyageur meurt noyé au Maroc en surfant. Les conditions météo étaient pourtant favorables et les courants plutôt faibles en cette saison. Je vois déjà les gros titres. Restons raisonnable. Je m’arrêterai là.
Après cette expérience mitigée et malgré les propositions de Marina de louer une planche de temps en temps, je ne surfe plus. Mais nous continuons insatiablement de croiser des surfeurs sur la côte jusqu’à Tagazhout. Le surf y est plus « spirituel », simple et incarné. Les marocains ont perdu l’habitude de scruter ces êtres étranges qui défient les lois de la physique sur leurs planches. Ce n’est plus une attraction mais un moyen de gagner de l’argent. Construisons des hôtels pour les accueillir. Des restaurants, écoles de surf, backpacks, campings à bas prix.
En descendant plus au sud, nos spots pour bivouaquer nous emmènent sur ces mêmes aires de repos pour surfeurs itinérants. Nous nous sentons presque de trop. Il existe toujours ici et là des campings-car de touristes retraités mais notre modèle de voyageurs en 4X4 fait tâche… Cela ne nous empêche pas de rejoindre les plages, de prendre des clichés, de discuter. Après réflexion, mon questionnement initial ne trouve réponse. Pourquoi vouloir toujours comprendre les comportements sociaux ? Après plusieurs articles de la même trempe, je me rends compte que je pose les questions pour ne pas y répondre. Référence maladroite, le rappeur « Lomepal » dit dans une chanson qu’il « se pose des réponses pour trouver des questions ». Je crois suivre la même démarche sans m’en rendre compte. Ces articles sont-ils inutiles ? Je commence à le croire.
Je reste néanmoins à l’écoute de ceux que nous rencontrons durant notre périple. Contrairement aux idées reçues, le voyage peut également vous isoler, malgré les tentatives de rapprochement avec autrui. Il faut savoir persister à chercher l’autre, à le questionner, à s’enrichir de ses expériences et son vécu. Le mien n’a rien de grandiose alors je m’inspire. Marina avoue timidement vouloir faire du surf. Elle qui n’a qu’en tête une maigre expérience durant son adolescence à la Réunion. Elle a surement raison. La meilleure façon de comprendre les surfeurs restera finalement de se mettre à l’eau et d’apprendre à leurs côtés…